mercredi 20 juin 2012

Nouakchott - Dakar : Un clash diplomatique en perspective ?

L’opposant et homme d’affaires mauritanien Moustapha Ould Limam Chavii pourrait-il être la goutte qui fait déborder le vase dans les relations entre la Mauritanie et le Sénégal ? Une question qui se pose avec acuité, avec la demande d’extradition formulée, vendredi dernier, par le ministre mauritanien de l’Intérieur, Mohamed Ould Boillil et le refus des autorités sénégalaises.. En visite au Sénégal, dans le cadre d’une mission de bons offices que lui a confié le président burkinabé Blaise Compaoré dont il est Conseiller, Moustapha Limam Chavi se trouve depuis quelques jours à Dakar pour une solution à la crise malienne. L’occasion pour le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ould Boïlil de demander son extradition, sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par la justice mauritanienne à son égard, pour trafic d’armes, terrorisme et connivences avec des groupuscules nuisibles à la Mauritanie. La réaction des autorités sénégalaises, qui ne s’est pas fait attendre, est intervenue sous la forme d’un refus sec. Les raisons d’un refus La raison invoquée par les autorités sénégalaises est que Ould Chavii, mauritanien certes, serait actuellement à Dakar en sa qualité de conseiller de plusieurs chefs d’Etats africains (Blaise Compaoré, du Burkina Faso, Alassane Ouattara de Cote d’Ivoire et Issouffou du Niger). D’où l’impossibilité de l’arrêter et de l’extrader pour la simple raison qu’il s’oppose au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. Une manière de dire que les accusations d’accointances avec le terrorisme dans la sous région sahélo-saharienne (Al Qaeda au Maghreb Islamique) dont l’affuble Nouakchott, ne tiennent pas la route. Ainsi, dans ce qui ressemble bien à une manière de " noyer le poisson ", Dakar n’est pas sur la même longueur d’onde que Nouakchott. Mais le Sénégal n’est pas le seul. On se rappelle, à ce sujet précis, que des pays occidentaux, comme la France et l’Espagne, n’avaient pas suivi, eux aussi, les accusations portées par la Mauritanie contre Ould Limam Chavii, quand, le 28 décembre 2011, à la demande du ministère public, un juge d’instruction du pôle antiterroriste du tribunal de Nouakchott, avait lancé un mandat d’arrêt international contre Mustapha Ould Limam Chaavi, un homme au réseau de relations tentaculaire, jouant parfois le rôle de conseiller officieux de certains chefs d’états oust africains. Le refus de suivre le désir de Nouakchott d’impliquer Moustapha Limam El Chaavi dans le terrorisme vient de deux faits essentiels. La première est qu’aucune preuve tangible de son accointance avec AQMI n’a été fournie par la Mauritanie. Le document fait ressortir 3 chefs d’accusation qui renvoient au terrorisme et au crime transfrontalier en des termes on ne peut plus clair : " financement d’activités terroristes, intelligence avec des groupuscules terroristes et appui financier et logistique à une organisation terroriste ". La seule chance pour que ce chapelet d’accusations soit pris en compte est qu’il provienne de la France ou des Etats unis, pays qui font de la lutte contre le terrorisme une question de vie ou de mort. Ensuite, l’homme est un acteur régulièrement impliqué dans des négociations et tractations visant la libération d’otages occidentaux enlevés par la nébuleuse terroriste Al Qaida. Le désir des autorités mauritaniennes de lier le " dossier " de Ould Chavii à celui de trois (3) autres terroristes également sous le coup de mandats d’arrêt internationaux ( Hamada Ould Mohamed Khairou, El Hacen Ould Khlil et Fawaz Ould Ahmed) n’a pas produit l’effet escompté. Même s’il est établi aujourd’hui qu’Ould Khairou, est le dirigeant d’une branche dissidente d’AQMI, " l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest " (MUJAO) dont la naissance a été annoncée en novembre dernier. Celui-ci a revendiqué le rapt de trois occidentaux (deux espagnols et une italienne) dans un camp de réfugié sahraoui situé dans le Sud Algérien (près de la ville de Tindouf). Les deux autres, Khlil et Fawaz, membres du groupe terroriste dirigé par Mokhtar Bel Mokhtat, alias Belawar, auraient pris part quant à eux au sanglant attentat de Lemghaity, en 2005, un cantonnement de l’armée mauritanienne, aux confins de la frontière avec l’Algérie et le Mali. Les visées de Nouakchott En fait, Nouakchott sait pertinemment que les nouvelles autorités de Dakar ne vont pas commettre l’impair de leur refiler un homme de la trempe de Chavii sans véritables preuves de son implication dans des activités terroristes. Car contenter Ould Abdel Aziz risque de provoquer le courroux d’autres chefs d’Etats africains (Burkina, Niger, Cote d’Ivoire) qui ont une autre estime pour l’homme. Et même, l’impliquer dans des activités " illégales " peut, par ricochet, atteindre ces présidents qui ont fait de lui leur conseiller officieux. Surtout le président Burkinabé dont les affinités avec Ould Chavii ne datent pas d’aujourd’hui et qui ne peut rien ignorer de ce qu’il fait. Il faut noter à ce sujet, la réaction du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) qui a qualifié de " maladresses diplomatiques" la demande formulée par Nouakchott. Le niet catégorique de Dakar constituerait un désaveu aux biens fondés des chefs d’inculpations arrêtés par la justice mauritanienne, lesquels ne serait en définitive que la traduction sous une forme judiciaire d’un sordide règlement de compte politique. Il faut dire que cet incident vient ajouter son grain de sable dans l’engrenage de relations diplomatiques déjà délictuelles entre la Mauritanie et le Sénégal, surtout après l’histoire des fameux titres de séjour imposés aux étrangers vivant sur le sol mauritanien, y compris les ressortissants sénégalais. Si c’est là le véritable objectif recherché par Nouakchott, il faut s’attendre, dans les prochains jours, à une exacerbation de la tension entre les deux pays. Ce que ni les accrocs entre pêcheurs sénégalais et garde-côtes mauritaniens ni la volonté de Nouakchott de gérer avec rationalité le séjour des étrangers sur son sol n’ont pu entamer risque bien d’arriver avec le déterrement de ce dossier de demande d’extradition de Chavii. Sauf s’il ne s’est agi, en fin de compte, que d’un ballon d’essai par lequel le président Aziz veut tester le degré de " souplesse " de Macky Sall, le nouvel homme fort du Sénégal. Sneiba Mohamed. Source Cridem